Strategies rédactionnelles

Le contrat de confiance

On peut résumer le positionnement de la pratique journalistique en constatant que le journaliste est à la fois “multiple” et “transparent”. En se référant au fondement de la liberté de la presse, puisée à la liberté collective d’expression des opinions, on constate le lien de délégation de cette liberté par le public.

C’est cette force collective qui donne aux journalistes droits et devoirs. C’est parce qu’il pose ses questions au nom du public, que l’interviewer a le droit de se montrer investigateur ou dérangeant… C’est en cela qu’il est “multiple”.

Ce sont ses lecteurs qui posent, par lui et avec lui, leurs questions.

Mais lorsqu’il s’agit de rendre compte et de mettre en forme, le journaliste doit avoir la modestie de s’effacer et de devenir “transparent” pour le public qu’il sert.

Sa personne n’a que peu d’intérêt au regard de la mission d’information. Cela ne l’empêchera pas de proposer des genres dans lesquels sa subjectivité s’affichera.

Et c’est bien dans cette clarté de contrat de lecture que s’affirmera également la volonté d’écrire pour son lecteur, et non pas pour soi-même.

 

Dans les genres relevant davantage du compte rendu d’événement, le journaliste se fera transparent, tentant de mettre au mieux le lecteur au contact de la réalité, en évitant d’interférer par ses avis, ses opinions ou par les simples marqueurs de sa présence.

Il évitera d’écrire au “je”. Lorsque sa sensibilité personnelle sera requise pour critiquer un roman, un film, une pièce de théâtre… Lorsqu’il s’agira de partager un moment de complicité avec son lecteur en faisant part de son humeur ou en rapportant un écho… Lorsqu’on aura à étayer un point de vue dans un éditorial… Lorsqu’il faudra faire percevoir une ambiance, un personnage, un terrain… Dans tous ces exercices, la seule manière de rester dans le contrat de confiance consistera à ne pas cacher sa subjectivité, à la revendiquer et à la communiquer, au minimum par la mention du type de rubrique balisant cette convention : critique, humeur, éditorial, ambiance…

Cette scission de l’univers journalistique entre le compte rendu objectivant et les genres objectifs est évidemment une pure vue de l’esprit en de nombreux cas. Elle dessine un cadre classique, institué dans le principe anglosaxon de la ségrégation du fait du commentaire.

Mais elle ignore tout ce que les analyses de contenu, d’argumentation, d’énonciation… dévoilent, parfois avec la touchante naïveté qui consiste à croire qu’on révélerait ainsi aux journalistes que leurs textes les plus objectivants regorgent de marques de prises de position.

Il ne se trouve plus grand monde dans les rédactions pour croire encore au mythe de l’objectivité.

Tout au plus sert-il, de manière très rhétorique, d’argument de défense lors de l’un ou l’autre dérapage : “Mais que croyez-vous, chère Madame ? Nous avons une déontologie. Nous faisons notre travail avec ob-jec-ti-vi-té !…” Le
journaliste sait pourtant qu’il peut se frapper le front sur le clavier de son ordinateur en répétant le mantra du “facts only facts”… Jamais il ne parviendra à cette terre promise de l’objectivité. Effort permanent, horizon d’attente, mais pas science exacte ! Le journalisme est affaire d’honnêteté.

On y reviendra. Longuement.

« S’il pleut, dites qu’il pleut » (La Bruyère).

 

 

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